Ce que les musiciens peuvent nous dire sur la dyslexie et le cerveau

L’étude des musiciens dyslexiques a révélé une altération de la mémoire auditive de travail (par exemple, l’incapacité de garder un son à l’esprit pendant une courte période), réfutant ainsi la théorie actuelle qui suggère que ce trouble est dû à une difficulté à traiter les sons.

L’étude des musiciens dyslexiques a révélé une altération de la mémoire auditive de travail (par exemple, l’incapacité de garder un son à l’esprit pendant une courte période), réfutant ainsi la théorie actuelle qui suggère que ce trouble est dû à une difficulté à traiter les sons.

Une théorie actuellement populaire de la dyslexie suggère que ce trouble est dû à des difficultés de traitement auditif interférant avec la capacité d’analyser les sons. Mais si l’analyse des sons est vraiment le problème dans son ensemble, comment expliquer les musiciens dyslexiques ?

Dans le numéro de février de la revue Neuropsychologia, une équipe de l’Université hébraïque d’Israël a apparemment trouvé la réponse à cette question.

Sur la plupart des tests de perception auditive, les musiciens dyslexiques ont obtenu des résultats aussi bons que leurs homologues non dyslexiques, et meilleurs que la population générale. Leurs performances ont été nettement moins bonnes lors des tests de mémoire de travail auditive, c’est-à-dire la capacité à garder un son à l’esprit pendant une courte période (généralement quelques secondes).

En fait, les musiciens dyslexiques dont la mémoire de travail est la plus faible ont tendance à avoir la plus faible précision de lecture. Ceux qui avaient une meilleure mémoire de travail avaient tendance à être plus précis. En d’autres termes, pour devenir un virtuose de la langue, la mémoire est tout aussi importante que la perception.

Ces résultats pourraient amener les chercheurs à s’intéresser davantage aux régions cérébrales liées à la mémoire, en plus des régions auditives qui ont retenu le plus l’attention dans les recherches sur la dyslexie.

Selon le Dr Harold Levinson, ces découvertes sur la mémoire dans la dyslexie sont cruciales pour un certain nombre de raisons. Les troubles visuels, moteurs et autres troubles de la mémoire sont également présents dans la dyslexie. Et ces nouvelles données aident à mettre en évidence l’incapacité des théories liées au phonème à expliquer le suivi visuel, l’inversion, la mémoire, la concentration et les mécanismes connexes contribuant à la lecture et aux autres symptômes caractérisant la dyslexie.

Mais alors, la formation musicale peut-elle aider à vaincre la dyslexie ?

Réponse courte : Peut-être, mais il est plus important de ne plus leur attacher l’étiquette « dyslexique ».

Rappelons que la dyslexie développementale est un trouble de la lecture qui ne peut être expliqué par un déficit visuel ou cognitif, ni par un manque de possibilités d’apprentissage. On estime qu’elle touche entre 5 et 17 % des écoliers, selon le seuil de lecture utilisé pour diagnostiquer le trouble.

Il est important de garder à l’esprit que la dyslexie n’est pas une maladie spécifique que vous avez ou n’avez pas. Les compétences en lecture sont plutôt réparties dans la population instruite. La plupart des gens ont des compétences moyennes en lecture, certains sont au-dessus de la moyenne, d’autres en dessous. C’est ce dernier groupe qui reçoit l’étiquette « dyslexie », même si la ligne de démarcation entre « moyen » et « inférieur » est arbitraire.

Nous l’avons vue dans la première partie de cet article, la dyslexie n’est pas, comme on le pense généralement, un trouble du traitement visuel.

Observons l’apprentissage des mots chez les enfants dyslexiques

Au cours des premières années de la vie, les enfants apprennent les mots de manière holistique, c’est-à-dire sans aucun sens de leur structure interne. Si vous demandez à un enfant de trois ans quel mot est le plus long, bus ou moto, la réponse est évidente. Bien sûr, les bus sont plus longs que les motos.

Au cours des années préscolaires, les enfants apprennent progressivement que les mots sont constitués de parties. Ils apprennent d’abord à taper les syllabes, un tap pour bus, deux pour mo-to. En jouant à des jeux d’allitération et de rimes à l’école maternelle, ils apprennent que même les syllabes ont des parties plus petites.

Cette conscience croissante que les mots ont une structure est appelée conscience phonologique, et elle doit être maîtrisée avant que l’enfant puisse apprendre à lire. En effet, le principe alphabétique relie les symboles écrits – les lettres – aux sons individuels de la parole, appelés phonèmes. En d’autres termes, pour prononcer les lettres d’un mot écrit comme chien ou dieu, il faut être capable d’entendre les phonèmes ch-i-e-n et d-i-e-u.

En CP, la plupart des enfants ont acquis une conscience phonologique, mais certains ne peuvent toujours pas distinguer les différents sons de la parole dans les mots. Cela s’explique par le fait que les phonèmes sont des événements auditifs très courts, se produisant à un rythme de dix ou plus par seconde. Ces enfants peuvent clairement entendre distinguer les sons, mais ils ne peuvent pas dire pourquoi ils sont différents.

Jeune musicienne dyslexique

Quel rapport avec la musique nous diriez-vous ?

Lorsque les enfants n’ont pas encore atteint la conscience phonologique en CP, nous considérons qu’ils souffrent d’un trouble du traitement auditif. Parfois, un entraînement intensif à la discrimination auditive des sons de la parole peut aider les enfants à acquérir la conscience phonologique dont ils ont besoin pour apprendre à lire. Et c’est là qu’intervient la formation musicale.

La parole et la musique impliquent toutes deux des manipulations rapides des qualités sonores comme la hauteur, le rythme et la durée. Les adultes formés à la musique ont des capacités de perception auditive supérieures à celles de leurs pairs non musiciens. On a donc longtemps supposé que l’entraînement musical pourrait donner aux enfants dyslexiques un coup de pouce dans les capacités de perception auditive dont ils ont besoin pour apprendre à lire. Récemment, une équipe de chercheurs britanniques a mis cette hypothèse à l’épreuve, en profitant d’une « expérience naturelle ».

L’équipe a recruté deux groupes dans un conservatoire de musique en Grande-Bretagne. Un groupe avait été diagnostiqué comme dyslexique dans l’enfance, tandis que l’autre groupe ne l’avait pas été. Comme contrôle, ils ont utilisé un groupe d’étudiants universitaires d’âge équivalent atteints de dyslexie. Si une formation musicale intense peut aider les enfants à surmonter leur trouble de traitement auditif, alors les musiciens « dyslexiques » devraient avoir des capacités de lecture comparables à celles de leurs pairs « normaux ».

Quels sont les résultats de l’étude ?

Les trois groupes ont subi une batterie de tests mesurant le traitement auditif et la capacité de lecture. Les musiciens « dyslexiques » ont obtenu des résultats similaires à ceux des musiciens « normaux » dans les tâches de traitement auditif. Ce résultat confirme les conclusions précédentes – et le bon sens – selon lesquelles un entraînement musical intense conduit à une amélioration de la perception auditive.

Cependant, les musiciens « dyslexiques » ont obtenu des résultats de lecture similaires à ceux des non-musiciens « dyslexiques ». En d’autres termes, les musiciens « dyslexiques » ne savaient toujours pas très bien lire, même s’ils avaient surmonté le trouble du traitement auditif qui les avait empêchés d’apprendre à lire au cours de leurs premières années d’école.

Les chercheurs ont émis l’hypothèse qu’une formation musicale intense ne suffit pas à elle seule, mais elle peut être complémentaire comme le suggère FranceDyslexia. Un enseignement explicite reliant les compétences auditives en musique au traitement de la parole pourrait plutôt être nécessaire. Bien que cet argument soit raisonnable, beaucoup pensent qu’il faut approfondir la question pour comprendre pourquoi les musiciens « dyslexiques » n’ont jamais rattrapé leurs pairs « normaux ».

L’importance d’arrêter de catégoriser les enfants

Lorsqu’un enfant reçoit une étiquette, celle-ci a tendance à rester valable toute sa vie. Au moment où un enfant est diagnostiqué dyslexique, il lit déjà un ou deux niveaux scolaires en dessous de ses pairs. Il a déjà appris qu’il ne sait pas lire, et l’étiquette « dyslexie » lui indique pourquoi. Des pensées comme « je suis dyslexique, donc je ne sais pas lire » font partie de l’image que l’enfant se fait de lui-même, et ce jusqu’à l’âge adulte.

Il en va de même pour les autres étiquettes que nous apposons par hasard sur les enfants. Le professeur de musique qualifie l’élève qui chante à voix basse de « sourd » et, à l’âge adulte, elle insiste encore sur le fait qu’elle ne sait pas chanter. Ou bien le professeur d’éducation physique traite l’élève mal coordonné de maladroit, et il grandit en croyant « Je ne suis pas doué pour le sport ».

Jusqu’à l’ère numérique, il y avait beaucoup de carrières pour les personnes qui n’étaient pas douées pour la lecture. Même les chefs d’entreprise et de gouvernement n’avaient pas besoin de bien lire ou écrire, car ils pouvaient toujours dicter une lettre à leur secrétaire ou lui faire lire les « petits caractères » pour eux. La musique est un autre havre de paix pour les pauvres lecteurs.

Ayant choisi la musique comme carrière, ces « dyslexiques » de la musique ont probablement renoncé à la lecture. Après tout, apprendre à bien lire demande autant d’efforts et d’entraînement que l’apprentissage d’un instrument de musique. Même si ces jeunes adultes ont maintenant les prérequis auditifs pour apprendre à lire, ils ne voient probablement pas la nécessité de faire des efforts. Quel est le bénéfice à ce stade ?

Aucune étude n’est parfaite, et il est toujours facile de trouver les bonnes questions après avoir fait des recherches. Rétrospectivement, il aurait été intéressant d’examiner les habitudes de lecture des musiciens « normaux » et « dyslexiques ». Certains émettent l’hypothèse que les « enfants normaux » lisent beaucoup plus que les « enfants dyslexiques ». Mais c’est un sujet de recherche pour l’avenir.